Les armes de métal s'entrechoquent violemment, font résonner l'air avec une âpre dureté ; les clameurs de guerre se mêlent aux clameurs déchirantes des blessés, et des mourants ; des bruits de cavalcade font gronder la terre, qui hurle sous les sabots équins ; et, par-dessus tout, trônent les cris tonitruants des bombardes éructant leurs boulets, qui fendent l'air dans un sifflement pénétrant et sinistre.
Des relents de poudre, suffocants, empoisonnent l'atmosphère, et forment avec l'odeur fade du sang répandu un mélange nauséabond et méphitique. Le métal, chauffé par les coups donnés et reçus, dégage des effluves incandescents, âcres. Des herbes écrasées et des fleurs coupées se répandent, lentement, quelques faibles essences végétales...
La bataille fait rage : les armures de plates et les écus aux vives couleurs brillent sous le soleil. Partout, les émaux, qu'ils luisent sur les cottes de mailles ou les boucliers, attirent l'œil par leur éclat. Les épées traversent les airs aussi vite que le regard, où qu'il se porte. Les bouches à feu, environnées de flammes, ouvrent de larges brèches dans les rangs ennemis.
Les deux partis se différencient nettement : les hommes en armure noire combattent férocement ceux que protège le blanc. Même les bombardes se sont prêtées à ce jeu de couleurs...
Les offensives se succèdent, de part et d'autre, menées par quelques Héros que la crainte de la mort n'effleure pas. Là, un chevalier lance son destrier par-dessus un fantassin, qui se couvre pathétiquement le visage de son bras blessé. Rien n'y fait , le tranchant de l'épée s'abat, avant même qu'il n'ait eu le temps de se relever.
Ici, un soldat d'élite, lourdement armé, désarçonne un cavalier, qui choit douloureusement à terre, et ne voit pas la mort arriver.
Là encore, une bombarde tue, dans un enfer de feu et de son, tout un groupe de combattants.
Plus loin, un solide guerrier à pied laisse tomber sa grande hache, et porte les mains, hurlant, à son casque, que vient de transpercer une flèche au blanc empennage.
Partout, la Faucheuse accomplit sa besogne, emportant en son domaine tous ceux qui ne la craignent pas, heureuse de cette aubaine qui souille le champ de bataille, et marbre le sol clair de noires flaques de sang.
Puis, le combat semble toucher à sa fin. Les soldats en armure blanche, ceux qui lancèrent l'assaut, prennent petit à petit l'avantage, malgré l'égalité initiale des forces composant les deux camps.
La victoire, et la défaite, approchent : déjà, les stratèges en noir voient l'ennemi blanc se rapprocher, cerner leur tente...
La grande main d'aristocrate fit tomber la petite figurine de bois. Le visage à la barbe et aux yeux sombres se leva vers celui de son adversaire, et déclara : "J'abandonne..."
Sir Jarvis Cecil-Gascoyne contempla avec satisfaction le roi déchu. Il se leva, aussitôt imité par son partenaire, réajusta son uniforme et dit laconiquement : "Ce fut une belle partie..."
Il saisit les sept doublons, enjeu de leur amical affrontement. Les deux officiers se saluèrent courtoisement, et le vainqueur sortit.
Resté seul, le lieutenant William Ashbless se mit à contempler rêveusement l'échiquier, où reposait toujours le cadavre de son roi. Il haussa les épaules, et songea qu'il serait heureux de prendre sa revanche, lors de leur prochaine partie.